Le cinéma français vient de perdre l’une de ses grandes dames. La comédienne Jeanne Moreau s’est éteinte à l’âge de 89 ans à son domicile parisien. Superstar des écrans, l’actrice n’a jamais eu la fibre maternelle. Au grand désespoir de son fils unique…
Face à notre époque shootée aux sentiments mièvres, elle assume. Et tant pis pour les belles âmes et autres bobos qui font des gorges chaudes de la maternité et du désir d’enfant. Jeanne Moreau n’a pas la fibre maternelle. Elle ne l’a jamais eue. Elle ne s’est jamais souciée de l’avoir. Elle l’a lâché à L’Express: «Je ne suis pas faite pour avoir des enfants. Mais j’aime beaucoup ceux des autres. Je suis davantage grand-mère que mère.» C’est balancé de sa voix d’anthologie, sans remord, ni tristesse, mais avec cette arrogante fierté qui a toujours agacé son fils, Jérôme Richard, soixante-quatre ans aujourd’hui.
Avec sa mère, l’unique a fini par faire la paix après une relation heurtée. Il n’est jamais simple de surmonter un sentiment d’abandon, de s’entendre dire d’aller ranger sa chambre quand on est en manque de câlins ou de se demander, seul le soir dans son lit, pourquoi maman est toujours dehors au lieu de vous raconter une histoire ou de vous aider à faire vos devoirs. L’actrice l’a reconnu dans Marie-Claire : «Il a été malheureux. Je pense qu’il est réconcilié avec nous, son père (le réalisateur Jean-Louis Richard, ndlr) et moi. Et surtout avec lui-même, depuis quelques années seulement.» Enfant délaissé, adolescent mal dans sa peau, adulte longtemps velléitaire… C’est à Los Angeles, où il est finalement parti s’installer, que Jérôme s’est finalement réalisé – il est artiste peintre –, loin de la statue du Commandeur de sa mère.
Celle-ci s’est interrogée: «Je ne peux pas dire si sa douleur a été uniquement due à mon rapport à la maternité. Ce n’est pas que j’en rejette la responsabilité, mais je pense qu’il y a aussi des tempéraments, des personnes plus ou moins disposées à souffrir.» Moreau l’insoumise n’a jamais été du genre à battre sa coulpe. A sa décharge, on ne nage jamais à contre-courant de la gloire. Encore moins quand le tourbillon de la vie vous prend à seize printemps sans plus jamais vous lâcher.
Irrespectueuse de la personne de Jérôme, Jeanne Moreau n’a jamais fait dans la layette quand elle évoque sa maternité: son non-désir d’enfant, sa décision d’avorter, son volte-face in extremis, son envie d’en finir au plus vite. Toujours dans Marie-Claire, elle a osé avouer:«J’ai accouché en deux heures. A peine rentrée dans ma chambre, j’ai téléphoné à mon metteur en scène. Je l’ai réveillé: « Ça y est mon enfant est né, je suis en pleine forme. Je pense pouvoir recommencer à travailler dans huit-dix jours. »
Nous sommes en 1949. Jérôme ne sait pas encore qu’il est le fils d’une étoile montante, d’une vedette populaire qui engloutit les rôles comme lui les biberons de sa nourrice ou de sa grand-mère, mais jamais ou presque de sa maman. «On ne peut pas essayer de faire de soi un instrument un peu rare et être asservi aux autres», expliquera-t-elle. Jeanne a comme qui dirait du chien. Elle prend la lumière comme personne. Orson Welles tombe amoureux de «la meilleure actrice du monde», qui joue dans son adaptation du Procès de Kafka. Louis Malle, François Truffaut, Michelangelo Antonioni, Louis Buñuel… les plus grands la sollicitent, les chefs-d’œuvre s’enchaînent: Ascenseur pour l’échafaud, La notte, Jules et Jim, Le journal d’une femme de chambre…
Dans l’ombre, son fils grandit, écoute, observe… A onze ans, il est du tournage de Moderato Cantabile de Peter Brooke, d’après un roman de Marguerite Duras, où Jeanne partage l’affiche avec un autre futur monstre sacré, Jean-Paul Belmondo. Elle y interprète une femme prisonnière de son milieu bourgeois qui reporte toute son affection sur son petit garçon, l’accompagnant à ses leçons de piano, faisant avec lui de longues promenades.
Dans son coin, Jérôme ricane de voir sa maman si bien jouer la comédie. Elle en est quitte pour une leçon de malheur que lui administre le destin: il est victime d’un grave accident de voiture, avec Belmondo au volant, qui s’en tire avec un bras cassé. L’enfant, lui, plonge dans le coma. La mère comprend sa douleur: «J’ai découvert quelque chose de viscéral, oui, presque bestial, avec mon enfant. Seize nuits et dix-sept jours dans le coma. Avec son père, nous vivions à la clinique. Quand je prenais ma douche, je pleurais. Il fallait que l’eau coule et mes larmes coulaient.»
Dès lors, entre eux, l’amour sera passionnel. «La relation entre mon fils et moi a toujours été d’une extrême violence», dira-t-elle. Après son divorce, Jeanne vit seule avec Jérôme. Façon de parler. «Je voudrais une maison assez grande pour y loger les hommes que j’ai connus dans ma vie», plaisante-elle alors dans Life. Dix ans plus tard, elle aura encore la réputation d’une croqueuse d’hommes et d’une mauvaise mère. «Il l’a très mal supporté, poursuivra la comédienne dans Marie-Claire, mais nous n’en avons jamais parlé. Il s’exprimait par sa violence. Il m’a tourmentée. J’ai été malheureuse, inquiète, frustrée. C’était un amour mouvementé, un amour qui a amené le désordre dans ma vie.» Pas le genre de la maison.
En 1966, Jeanne Moreau débarque sur la Croisette dans une Rolls noire d’où elle sort vêtue d’un costume blanc signé Pierre Cardin, son amant. Pour un jour et demi de présence, elle a apporté dix robes, quatorze paires de chaussures, quinze serre-têtes et une demi-douzaine de sacs assortis. Elle s’amuse comme une folle à jouer la star. Pendant ce temps-là, l’adolescent se fait renvoyer des pensionnats successifs où il est exilé. L’appel au secours classique d’un emmerdeur plutôt paumé. «J’ai fait une psychothérapie. Cela m’a fait du bien parce que la souffrance qu’il pouvait traverser m’a causé une terrible culpabilité», affirmera sa mère. Deux ans plus tard, elle est victime d’un début de cancer. Il n’y a pas de hasard: la tumeur se loge dans l’utérus…
Heureusement, la création se chargera de pacifier leur relation en leur offrant un terrain d’entente, un langage commun. Avec le temps, l’œuvre picturale de Jérôme est reconnue aux yeux des autres et de sa mère. Dès qu’elle l’envisage sous cet angle, l’actrice n’est plus que louanges. A propos de Richard, le plasticien, elle trouve un ton qu’on ne lui connaît pas lorsqu’elle évoque Jérome, le fils: «Je vois la peinture d’un homme et d’un artiste (…), une magnifique indépendance. Grâce à la force de de sa création, le passé n’a plus la même importance. L’artiste qui s’en est nourri pour créer ces tableaux est devenu un étranger, c’est la preuve même que c’est une création. L’œuvre de Jérôme Richard, c’est la sienne!», confie-t-elle dans Marie-Claire. Narcissisme? On l’aura compris, Jeanne Moreau n’a jamais finalement aimé que le peintre et, à travers lui, l’art avec un grand A. Elle l’avouera dans L’Express: «Mes enfants ce sont mes personnages.» Tant pis pour Jérôme!
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