« Je continue à croire que toute ma carrière a été un accident. Je ne l’ai pas cherchée. J’ai encore l’impression parfois d’être une sorte d’escroc ». Ainsi parlait Benjamin Earl Nelson, alias Ben E. King, auteur d’un tube planétaire, adapté plus de cinq cents fois : Stand By Me. Sa mort, à 77 ans, survenue le 30 avril, a été officiellement annoncée 1e mai par son agent.
Ben E. King appartient à cette génération de Noirs Américains qui, dans un pays sauvagement ségrégationniste, allait trouver son salut à travers la chanson, en intégrant divers groupes vocaux dont le répertoire s’inspirait du gospel. Grandi à Harlem, il fait d’abord partie des Four B’s, avant de rejoindre « The Five Crowns », se produisant dans des théâtres comme le toujours mythique Apollo. C’est là que le chanteur rencontre le manager George Tradwell qui lui propose ainsi qu’à ses camarades de remplacer au pied levé les membres des Drifters. Ils deviennent The New Drifters et enchaînent un certain nombre de tubes, devenus de classiques comme There goes my baby, ou Save the last dance, popularisée en français par Mort Schuman sous le titre La dernière danse.
Le groupe plaît. Vend des disques. Remplit des salles. Mais l’un des membres découvre qu’ils sont honteusement exploités par leur manager. «On s’est rendu compte qu’on lui rapportait entre 3 et 5000 dollars par soir. Mais nous, on n’avait droit à 100 dollars par semaine ». Le chanteur monte au créneau pour ses camarades, mais n’obtient rien, sinon le droit d’aller chanter ailleurs. Dans le fond, une chance. Sa chance.
En 1960, Benjamin devient Ben E.King en signant chez Atlantic. Spanish Harlem, son premier titre phare atteint le top 10, avant de suggérer à son équipe artistique d’adapter Stand by me : un vieil hymne gospel, ultra populaire dans le sud des Etats-Unis et composé en 1905 par le révérend Charles Albert Tindley. Une première version pop avait été popularisée par The Staple Singers en 1955. Mais c’est celle de Ben E. King qui remporte le jackpot. Grace à l’arrangement que composent Jerry Lieber et Mike Stoller. Ils font s’ouvrir cet imparable slow par une ligne de basse, qui accroche immédiatement l’auditeur. La voix de Ben E. fait le reste. Bingo.
Deux ans plus tard, le boxeur Cassius Clay l’adapte à son tour. En 1975 c’est John Lennon qui remet Stand By Me au goût du jour, dans une version beaucoup plus rock. La préférée de Ben E. King qui se demandait par quel talent l’ex-Beatle était parvenu à se l’approprier « au point qu’elle sonne comme une de ses compositions ».
C’est cependant dans sa version italienne que le titre redeviendra un tube, sous le titre Preghero, chanté par le très populaire Adriano Celentano. Qui dans la foulée contribuera à ce que Ben E. King ne tombe pas tout à fait dans l’oubli, en redonnant vie à un autre de ses hits majeurs, Don’t play that song.
Sans répéter le succès, mais en tournant régulièrement et en se produisant régulièrement à Las Vegas, ce chanteur de fond, à l’abnégation rare, survivra aux années 70/80 qui voit naître d’autres musiques noires. L’avènement du rap et des musiques connexes le laisse désemparé. « Je suis triste pour les mômes d’aujourd’hui qui dominent l’industrie du disque. Ils dorment avec leurs lunettes de soleil, mangent du caviar dans des jets, mais ils ne ressentiront jamais ce que nous ressentions profondément en chantant ».