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Florence Arthaud: le dernier voyage

La navigatrice aimait sa fille et la mer plus que tout. Forte d’un remarquable palmarès, elle avait encore de nombreux projets en tête. Des courses au large, un livre, un film, tout était possible pour cette boulimique de la vie. Par Sarah Merlino

« C’était pas mon heure! » avait tendance à dire Florence Arthaud en parlant de ses accidents. Qu’il s’agisse de celui qu’elle eut à dix-sept ans, en voiture, qui lui laissa des cicatrices sur le visage (après une paralysie, un coma et deux ans d’immobilité), ou de la fausse couche en pleine Route du Rhum, qu’elle finit par remporter en 1990, ou encore de sa chute de bateau, en 2011, au large de la Corse, Florence Arthaud s’en tirait avec une pirouette verbale, une dérision qui lui était chère. Celle qui croyait aux fantômes (notamment ceux de sa maison familiale de la rue de la Tour, dans le très chic 16e arrondissement de Paris) et aux signes du destin a péri dans des circonstances pour le moins étonnantes: la navigatrice est décédée en l’air, dans un hélicoptère, en Argentine, bien loin de sa maison du quartier de la Madrague à Marseille, donnant sur la plage. Et loin de son bateau. Curieux pied de nez à la vie. « Elle est tombée à l’eau plusieurs fois, mais la mer n’a jamais voulu l’emporter », souligne le navigateur Yvan Bourgnon. « Quand elle naviguait, elle rayonnait », se souvient Philippe Monnet. Ce dernier a connu la « petite fiancée de l’Atlantique » alors qu’il rentrait de son tour du monde à l’envers et en solitaire en monocoque en 1987. « Elle était venue me saluer avec d’autres skippers », se remémore le marin. Le duo vivra une histoire d’amour pendant un an « mais qui a duré toujours. Pour nous, les marins, c’est compliqué d’entretenir des relations amoureuses, on ne peut pas offrir l’amour-réconfort à cause de la mer. Florence était comme ça aussi, indépendante. Mais elle avait de l’amour pour les gens qui l’aimaient », assure Philippe.

Une déclaration appuyée par celles de ses nombreux amis, dont Géraldine Danon. L’actrice et épouse de Philippe Poupon se souvient de la marraine de son fils comme d’une femme « dans l’extrême, toujours, que ce soit dans le don ou dans la compétition. Jamais dans l’économie. Elle était engagée, généreuse avec une jeunesse d’esprit infinie. » « On a tous perdu une petite sœur. C’est une fille qu’on aimait bien, que tout le monde admirait, qu’on trouvait très marrante, très maritime, ce n’est pas une imposture », a déclaré de son côté Olivier de Kersauson sur Europe 1. Vainqueur de la Route du Rhum à l’âge de trente-trois ans, Florence entre dans un monde masculin par la grande porte. « C’est pas un sport de gonzesse, s’amuse à dire Philippe Monnet, elle m’a fait rêver, elle nous a tous épatés. » Florence le disait elle-même à l’AFP en octobre 2014: « Ce n’est pas un métier de femme. C’est un univers rude, dur, où on est tout le temps sur les mers ». « C’est la seule femme qui a banané des mecs en multicoques, le plus dur en matière de course au large. On avait tous beaucoup de respect pour elle », déclare le navigateur Yvan Bourgnon, alors qu’il prépare son catamaran au large du Sri Lanka. Le petit bout de femme d’1,63 mètre avait tout d’une grande. « Je l’appelais Calamity Jane! » , sourit Fred Beauchêne en souvenir de celle « qui parlait aux hommes comme aux femmes de la même manière: quand le coup de fusil partait, ça allait direct entre les yeux! » Le premier homme à avoir traversé la Manche en planche à voile en garde un souvenir ému: « Florence avait un incroyable tempérament, fêtarde avec une hargne de la compétition. » Yvan Bourgnon acquiesce: « Quand on a battu le record de la traversée de la Méditerranée, une semaine après, elle nous a devancés de 47 secondes! » Au sujet de la Route du Rhum, la navigatrice racontait à L’Equipe: « Certaines mauvaises langues affirmaient que je ferais demi-tour au bout de deux jours. C’était mal me connaître. »

Une vraie championne habitée par l’esprit d’aventure. Voilà pourquoi cette fille d’éditeurs, qui se destinait à devenir médecin, aurait accepté le jeu proposé par TF1: « Le défi l’amusait », explique Elsa Trillat, photographe, amie de longue date, « Elle s’était préparée sérieusement pour l’émission dont elle ne savait rien, si ce n’est qu’il y avait deux équipes de quatre personnes et que c’était pire que Koh-Lanta! Elle faisait des joggings dans les calanques pour sa remise en forme et elle écoutait des cassettes d’hypnose pour arrêter de fumer. » La veille de l’accident, Florence a envoyé un mail à Géraldine Danon dans lequel elle racontait gaiement avoir « éliminé le footballeur! », Sylvain Wiltord. Elle s’amusait.

Découvrez la suite de l’article dans notre numéro hommage, en kiosque cette semaine.