Comme il le dit lui-même, ses photos marquent son “immersion dans un monde extraordinaire”, celui “de gens passionnés qui créent des histoires, qui s’impliquent et pour qui on a du respect et dont on a envie de partager le travail”. Sur les pas des musiciens originaires d’Afrique subsaharienne, Bill Akwa Bétotè est l’un des photographes qui racontent les nuits parisiennes des années 80. “Quand j’ai commencé dans les années 76-77, se souvient-il, j’ai constaté qu’il y avait beaucoup d’artistes qui n’avaient pas de photos, contrairement à ce qu’il se passe aujourd’hui.”
La pellicule d’une “éclosion culturelle”L’artiste camerounais y remédie très vite en leur tirant le portrait et en les mitraillant tant sur scène qu’en dehors. “En 1981, il y a eu l’arrivée de la gauche au pouvoir, avec un exceptionnel ministre, Jack Lang, qui a eu une politique de développement culturel qui permettait aux artistes de s’épanouir. Les musiciens que j’écoutais avaient de plus en plus la possibilité de s’exprimer à Paris. Il y a eu également une profusion de lieux où on pouvait les découvrir.”Cette “éclosion culturelle”, dont Bill Akwa Bétotè est le témoin, est visible dans la bien nommée collection Paris 80 “Pulsations”. Une vingtaine de clichés, issue de cette série, fait partie des documents (dont plus d’une cinquantaine de photos) réunis dans le cadre de l’exposition Paris-Londres, Music Migrations (1962-1989) qui se tient jusqu’en janvier 2020 au Musée de l’histoire de l’immigration à Paris. Inspiré par la démarche des musées américains, son commissaire général Stéphane Malfettes a pris le parti de raconter cette facette musicale de l’immigration africaine dans les capitales française et britannique. “Un sujet totalement négligé, surtout dans l’histoire de la musique française. On y parle très peu de l’influence des musiciens antillais, d’Afrique du Nord et d’Afrique subsaharienne. Pourtant toute la richesse de la scène musicale des années 80 est liée à l’immigration”, souligne-t-il dans Le Journal du Palais, la revue du Musée de l’histoire de l’immigration. “Cette exposition, estime Bill Akwa Bétotè, va marquer les esprits de ceux qui auront la chance d’aller la voir. Ils vont se rendre compte que cette immigration sur deux-trois générations, par le biais de la culture, a imprégné le quotidien de beaucoup de familles et a permis à des Français, qui s’y sont intéressés, d’avoir un autre lien avec l’Afrique (…). Je suis très fier de porter, à travers mon travail, les témoignages (…) de l’influence des musiques africaines dans les pays colonisateurs.”La passion de la photographie est née chez Bill Akwa Bétotè grâce au mari de sa tante, homme d’affaires, dont il admirait les clichés pris lors de ses déplacements. Ce dernier lui offre un appareil photo qu’il garde précieusement. C’est en arrivant en France, au début des années 70 pour faire des études d’économie, que le déclic va finalement avoir lieu. Avec lui, un intérêt pour la musique motivé par “la découverte d’un univers qui possède la magie que la scène peut offrir”.Dès lors, le photographe camerounais est resté au “plus près des artistes (africains notamment)“ à une époque où la France de ces années 80 est marquée par d’importants bouleversements socio-politiques. Au Musée de l’histoire de l’immigration, on retrouve ainsi le portrait de la chanteuse sud-africaine Miriam Makeba aux côtés de ceux de l’artiste congolaise Abeti Masikini et son album disque d’or Je suis fâchée (1986), de son compatriote Tabu Ley Rochereau ou encore du Malien Salif Keita. “Trouver ce lien magique qui émane de la scène est inexplicable, voire indicible”“Avec son objectif (dans Paris 80 “Pulsations”), explique Frank Tenaille, co-auteur avec Bill Akwa Bétotè de Musafrica : portraits de la musique africaine (Editions du Layeur, 2001), il va tenir la chronique de ces années d’échanges (…). Passeur de mémoire, il témoigne de ce que fut cette saga, gardant la trace de ces moments précieux aujourd’hui évanouis : Salif Keita, Mory Kanté, Féla, lors de leurs premiers concerts parisiens ; des dizaines de musiciens portraiturés dans des lieux cultes du New Morning, de la Chapelle des Lombards, de la Main Bleue, de l’Eldorado, de Farafina…; des grands moments collectifs de ‘Tam-Tam pour l’Ethiopie’, de la caravane ‘Franchement Zoulou’ contre l’apartheid, de ‘l’Opération Jéricho’ pour la libération de Féla, du ‘Mouvement des sans papiers.’“Bill Akwa Bétotè ne s’intéresse pas qu’aux artistes. Le photographe regarde aussi du côté de leurs fans. “La musique, ce n’est pas seulement la scène. C’est le ‘full contact’ avec les gens (…) Moi, je suis dans la fosse, d’un côté il y a le public, de l’autre les artistes, je reçois toutes les vibrations. Je suis parfois dans une forme de transe, on se sent transporté et on prend le meilleur de ce que l’on peut recevoir. Trouver ce lien magique qui émane de la scène est inexplicable, voire indicible.” Les clichés de Bill Akwa Bétotè lors des Jeudi Black à la Chapelle des Lombards, au Black&White ou encore au Keur Samba, ses lieux incontournables de la fête à Paris, témoignent de cette ambiance unique. Stéphane Malfettes souhaitait montrer à la fois les musiciens, le public et “la communauté vivante des danseurs”. “On ne sortait pas à la légère, poursuit-il. Faire la fête était quelque chose d’important. On prenait au sérieux le fait de faire la fête”, souligne-t-il en évoquant l’œuvre de Bill Akwa Bétotè. Pour le photographe, “le monde de la musique, c’est toute une histoire. La musique, ce sont des rencontres. Le medium qu’est l’appareil photo libère les possibilités de rencontrer l’autre. Aujourd’hui, on est de plus en plus selfie”, souligne-t-il au passage. “Partout dans le monde, conclut Bill Akwa Bétotè, c’est toujours la même histoire, l’histoire de l’humanité, de ce que nous les êtres humains sommes capables de vivre et de partager ensemble au quotidien.”Click Here: geelong cats guernsey 2019