Depuis leur sit-in du 16 octobre 2013, les sages-femmes françaises sont en grève illimitée. Mais qui l’a remarqué? Pas les femmes sur le point d’accoucher qui, selon les blouses roses, ne doivent pas payer le prix de leur combat.
Les sages-femmes réclament une revalorisation de leur statut et de leur salaire.
Malgré 5 années d’études (dont la première en médecine), un droit au diagnostic, à la prescription… les
sages-femmes exercent actuellement sous le statut de profession paramédicale. Elles réclament aujourd’hui la revalorisation de leur statut et donc, de leurs salaires. Caroline Raquin, sage-femme hospitalière à Colombes (92), présidente de l’Organisation Nationale Syndicale des Sages-Femmes (ONSSF) et responsable du collectif des sages-femmes à l’origine du mouvement, revient sur cette lutte qui n’est pas près de s’achever.
Doctissimo : Quand et comment avez-vous soudainement pris conscience de votre statut ?
Caroline Raquin : Quand on a eu connaissance du projet du gouvernement sur la Loi de santé de 2014 et sur le parcours de santé des femmes, on s’est dit : “Enfin, on va pouvoir travailler avec eux !“ Pour nous, ça allait de soi sur un sujet comme celui-ci. On sollicitait donc à chaque fois d’être reçues parce qu’on estimait qu’on devait être consultées mais après l’année et demie de mandat de Marisol Touraine qui s’est écoulée, on n’avait aucune nouvelle ni d’elle ni de son ministère. On avait déjà vu quelques conseillers mais ça n’a jamais mené à rien. Quand on a été reçues le 16 octobre, on a clairement appris qu’on n’était pas prévues dans le projet. S’il n’y avait pas eu tous ces remaniements et cette communication autour des réformes en matière de santé et particulièrement de santé des femmes, je crois qu’on se serait tues encore longtemps.
Doctissimo : Comment se sont soldés vos échanges avec la ministre ?
Caroline Raquin : Nous l’avons enfin rencontrée le 7 novembre et elle nous a promis de nous inclure dans la réflexion. Puis nous l’avons revue le 19, accompagnée de la ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche (Geneviève Fioraso) parce qu’il faut savoir que les enseignantes en école de sage-femme (intégrée à l’université) n’ont pas de statut actuellement : elles n’ont pas le statut hospitalo-universitaire, c’est à dire une activité clinique à l’hôpital et une activité d’enseignement, précisément à cause de notre
statut non médical. A la faculté, elles sont donc simplement “en disponibilité“.
Doctissimo : Que vous apporterait le statut de praticien hospitalier et de professionnel médical de premier recours que vous réclamez ?
Caroline Raquin : Dans les faits, on est praticiens de premier recours, c’est à dire que vous n’êtes pas obligés d’aller voir un généraliste avant d’aller voir une sage-femme (SF). Mais globalement, personne ne sait qu’il existe des SF libérales ! On voudrait donc qu’on nous inscrive dans les textes de loi et notamment dans le Code de la Sécurité Sociale comme premier recours, ce qui permettrait des campagnes d’information pour nous flécher dans le parcours parmi les généralistes et les gynécologues. Ensuite, le statut médical serait la reconnaissance de notre profession médicale telle qu’elle est définie dans le Code de Santé Publique, justement à côté des médecins et des dentistes. C’est après que l’on disparaît puisqu’à l’hôpital on est dans les non médicaux. Bien sûr, cela entrainerait une revalorisation des salaires, mais nous avons calculé que l’investissement au départ, environ 150 à 300 millions d’euros sur plusieurs années, serait très vite amorti par les économies que réaliserait la Sécurité sociale : nous prescrivons beaucoup moins d’examens, d’arrêts de travail, les femmes viendraient à nous directement plutôt que de passer à chaque fois par le généraliste. Nous ne sommes que 10 000 SF à l’hôpital et 4 000 libérales, ce qui n’est rien à côté des 150 000 infirmières françaises.
Doctissimo : L’obtention de ce statut pourrait-elle accélérer le débat en faveur des maisons de naissance ?
Caroline Raquin : Bien sûr ! A partir du moment où on aura un statut médical, on pourra gérer des unités ou des pôles physiologiques dans les maternités ou les
maisons de naissance (MdN) hospitalières. On n’aura plus besoin d’être chaperonnées par un obstétricien, même si on n’exclut absolument pas de travailler avec eux. Il n’y a pas de concurrence entre nous et on leur a bien répété qu’on ne voulait pas être médecin. Si c’était ce qu’on voulait, on reprendrait des études ! On veut juste faire ce qu’on sait faire de façon autonome. Et pour ça, on attend le feu vert de l’Assemblée Nationale pour lancer les expérimentations sur les MdN fin novembre.
Doctissimo : Comment le mouvement de grève est-il suivi ?
Caroline Raquin : Selon les derniers chiffres qu’on a eus via les Renseignements Généraux, ce serait 70 % des SF sur tout le territoire, hospitalières et libérales confondues. Dans les hôpitaux publics, ça concernerait entre 90 et 98 % des maternités en grève. Concrètement bien sûr, on n’empêche pas les femmes d’accoucher ! Notre mission de continuité des soins et de service minimum nous oblige à assurer un service d’urgence et nous assigne à venir travailler même lorsqu’on est gréviste. Ce qui est normal : on ne va pas faire accoucher les femmes dans la rue et les mettre en danger ! C’est aussi pour ça que la grève dure longtemps : on ne peut pas bloquer un service. Donc on les informe massivement et elles nous soutiennent.En revanche, on fait la grève administrative en ne codant plus les actes. Actuellement, quand on fait un accouchement, on le facture à la Sécurité sociale qui paie alors l’hôpital. Cette facturation ne se fait qu’avec un code de médecin, même lorsque c’est une SF qui accouche la patiente ! C’est à dire qu’on disparaît encore ! Nous voulons donc aussi un code SF. C’est quand même une fraude caractérisée à la sécu puisqu’on code un acte qui n’est pas le nôtre !
Doctissimo : A quelle échéance déciderez-vous d’arrêter la grève ou de la durcir si rien n’aboutit ?
Caroline Raquin : C’est tout le problème. Les groupes de travail sont en train de se former sur le statut, le premier recours etc. donc la semaine prochaine va être décisive. Il va effectivement falloir durcir le mouvement très fort mais à part la disparition des SF des maternités, je ne vois pas ce qu’on peut faire.Anne-Flore Gaspar-Lolliot, novembre 2013
Source
Entretien avec Caroline Raquin, sage-femme hospitalière à Colombes (92), présidente de l’Organisation Nationale Syndicale des Sages-Femmes (ONSSF) et responsable du collectif des sages-femmes à l’origine du mouvement de grève, le 22 novembre 2013.