Sexe, mode et disco ! Après The Assassination of Gianni Versace, Ryan Murphy s’intéresse à une autre star de la mode, américaine et peu connue en France, Roy Halston Frowick. Dans Halston, minisérie disponible depuis vendredi sur Netflix, le producteur et scénariste suit l’ascension et la déchéance du styliste américain, incarné par Ewan McGregor, qui a habillé Liza Minnelli, Bianca Jagger ou Elizabeth Taylor. Pilier du mythique Studio 54 aux côtés d’Andy Warhol, il symbolise la culture hédoniste disco de l’époque, multipliant les fêtes, les amants et les lignes de cocaïnes. Le couturier Julien Fournié a accepté de regarder les deux premiers épisodes avec 20 Minutes.
La série commence en 1938, âgé de 6 ans, Roy Halston Frowick console sa maman, victime de violences conjugales, en lui faisant de jolis chapeaux. « Monsieur Halston a commencé sa carrière dans les années 1950 comme modiste à l’atelier de Lilly Daché », commente Julien Fournié.
« Une réponse à la suprématie française de la Haute couture »
Le 20 janvier 1961, à la télévision américaine, Jackie Kennedy parade dans une tenue signée Oleg Cassidi, « une bonne copie de Chanel », rit Julien Fournié, coiffée d’un bibi signé Halston. Au début des années 1960, Halston devient chapelier chez Bergdorf Goodman, « c’est là qu’il a l’idée de mettre cette fameuse toque sur la tête de Jackie Kennedy. »
Click Here: Tottenham Hotspur soccer tracksuit
Nouveau saut dans le temps, New York, 1968. « Lorsque Jackie Kennedy décide d’arrêter d’en porter, c’est la fin du chapeau », note le couturier. Halston veut lancer sa griffe. « Pourquoi ? C’est une réponse à la suprématie française de la Haute couture », indique Julien Fournié. Dans les années 1960, les marques américaines paient des droits pour copier les créations de Christian Dior, Pierre Cardin ou Yves Saint Laurent.
L’émergence de Halston accompagne aussi celle du Pop art et de Warhol. Avec ce designer, « c’est l’univers marketing qui arrive » dans la mode. Et Halston mène sa vie comme une campagne de pub permanente. « Les Américains ont pris ce qu’on savait mieux faire pour en faire du marketing et de l’image », commente le couturier.
« Halston a surfé sur l’image médiatique des femmes qu’il habille »
Le premier défilé Halston est un désastre. « Il copie Cardin, on sent aussi l’influence de Marc Bohan, le directeur artistique de Dior », estime Julien Fournié. Halston doit se réinventer. « A l’arrivée de l’ère hippie et de la libération féminine, il cherche une nouvelle jeunesse et s’inspire beaucoup de la rue. Halston, c’est un carnet de tendance, analyse l’expert. Cela montre qu’on peut être un phoenix dans la mode. »
Liza Minnelli est introduite pendant un numéro sur Say Liza, un morceau dans lequel la fille de Judy Garland se plaint qu’on écorche sans cesse son prénom. Halston se charge de relooker la chanteuse. « Ce drapé, c’est joli. La séquence montre bien le lien entre le créateur et sa muse », commente le couturier. Et d’ajouter : « La série montre bien comment Halston a surfé sur l’image médiatique des femmes qu’il habille. »
« Il parle de Haute couture, mais ne fait que du prêt-à-porter »
Décembre 1968, Halston ouvre une boutique sur Madison Avenue à New York et lance une ligne. « Il parle de Haute couture, mais ne fait que du prêt-à-porter. Et il faut arrêter de dire que Halston a inventé le prêt-à-porter, c’est Pierre Cardin qui l’a inventé », rappelle l’expert.
Les créations de Halston, d’une grande simplicité, sont parfois taillées à partir d’une seule étoffe coupée dans le biais du tissu. « Nous vendons du poncho », rit Julien Fournié. « Halston s’est dit : “on va faire un vêtement dépouillé, minimaliste, qui ne va pas coûter très cher, dans des matières plus cheap, qui va toucher tout le monde” », explique-t-il.
Et d’ajouter : « Son équipe est désespérée face à Halston qui n’a pas de ligne directrice. Cela me rappelle des maisons où j’ai pu travailler. Un créateur doit apporter des idées ! », martèle-t-il. La robe-cabine Ultrasuede « est une copie d’Yves Saint Laurent. C’est paradoxal, il se lance parce qu’il ne veut plus faire de copies françaises, mais il fait de la récupération. »
« La série ne donne pas une belle image du créateur de mode »
Et de déplorer que « la série ne donne pas une belle image du créateur de mode. Ryan Murphy tire à bout portant sur son personnage : Halston est présenté comme superficiel et égoïste. Il est tout ce que je ne souhaite jamais être ».
Halston semble plus préoccupé par la communication et l’argent que par la mode. « Ce n’est pas comme cela qu’on crée. L’argent est un but pour lui, alors qu’il n’est qu’un moyen », déplore-t-il.
Et de s’agacer de quelques séquences « drogue à tous les étages ». « Il faut arrêter d’associer drogue et mode. Les créateurs de mode se lèvent et se couchent tôt et font attention à leur hygiène de vie. Oui, ça a existé, mais cela n’existe plus. »
« Esthétiquement parlant, tout est magnifique »
Le couturier salue les qualités esthétiques de la minisérie. « Le stylisme, la coiffure, tout est magnifique. C’est documenté et visuellement, cela fonctionne. »
La reconstitution de La Bataille de Versailles séduit le couturier. « Dans la mode, il faut exister en France, sinon, on n’existe pas », commente Julien Fournié. Méconnue, elle a vu se mesurer le 28 novembre 1973 à l’Opéra royal du château de Versailles cinq designers américains (Halston, Oscar de la Renta, Anne Klein, Stephen Burrows et Bill Blass) à cinq couturiers français (Marc Bohan, Yves Saint Laurent, Emanuel Ungaro, Pierre Cardin et Hubert de Givenchy).
« Le casting est parfait. Oscar de la Renta est parfait », se réjouit-il. Et d’apprécier que Ryan Murphy fasse le parallèle entre le monde du spectacle et celui des podiums où « l’on doit apprendre à gérer l’imprévisible. »
Côté américain, Liza Minelli ouvre le défilé. « Ryan Murphy sait très bien mettre en scène tout ce qui est show-off, des clins d’œil à Bob Fosse et aux comédies musicales », salue le couturier. Le show, salué par une standing ovation, fait sensation, et permet à la mode américaine de gagner en prestige, et à Halston, d’entrer dans la légende. Pour les Américains, « l’histoire de la mode était née ; son industrie, à jamais transformée », analyse Robin Givhan, critique de mode au Washington Post, dans son livre The Battle of Versailles (2015).
Une opposition entre l’esprit prêt-à-porter sportswear américain et la haute couture française, toujours d’actualité. « Je lance un appel à Ryan Murphy. Je suis fan de son travail, il est un visual artist accompli. Mais je trouve dommage qu’il n’ait pas été cherché un vrai créateur de mode à mettre en scène, français », conclut Julien Fournié.