Les Bodin’s symboliseraient-ils la fracture entre Paris et la province ? Beaucoup l’ont affirmé lorsque, fin novembre, le film Les Bodin’s en Thaïlande a rempli les salles de la Bretagne à l’Alsace et jusqu’en Nouvelle-Aquitaine tout en faisant un flop dans la capitale.
La comédie, portée par le duo comique incarnant une octogénaire agricultrice, Maria, et son fils, Christian, vieux garçon lui aussi fermier, n’en a pas moins été un succès. Ses 1.6 million d’entrées en ont fait le quinzième long-métrage le plus vu dans les cinémas français en 2021. Au classement annuel, il devance des grosses productions comme Eiffel (1.5 million), Aline (1.3 million) et même le Marvel Shang-Chi et la légende des dix anneaux (1.4 million).
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Le distributeur SND (qui appartient au groupe M6) leur avait organisé une tournée d’avant-première dans 150 cinémas (!) mais on peut s’interroger sur ce ratio Paris/province aussi déséquilibré. Sur la première semaine d’exploitation, seuls 2 % des tickets vendus l’avaient été en Ile-de-France. « On n’a pas vraiment d’explication. A part le fait qu’il n’a pas été joué dans beaucoup de salles à Paris, donc que peu de gens l’ont vu et qu’il a été retiré assez vite des écrans de la capitale », avance Jean-Christian Fraiscinet, alias Christian Bodin sur scène. Et d’enchaîner par une pirouette : « Je crois qu’on a fait beaucoup d’entrées hors de Paris parce que tous les Parisiens sont venus le voir en province. »
« On n’écrit pas pour les Parisiens ou pour les ruraux »
On sent que la question amuse moins son acolyte, Vincent Dubois, alias Maria. Lui, estime que cette polémique est un « faux sujet » né de la plume des journalistes : « On n’écrit pas pour les Parisiens ou pour les ruraux. On écrit pour le public. » On insiste quand même : se sentent-ils snobés dans la capitale ? « Non, répond Jean-Christian Fraiscinet. On sait qu’on a un public parisien. On remplit le Zénith, les Folies Bergère, l’Olympia… »
Du côté du groupe M6, qui soutient les Bodin’s depuis une vingtaine d’années, les considérations sociogéographiques sont rapidement balayées. « Nous, ça nous est complètement égal. Ce que l’on sait, c’est qu’il y a un attachement extrêmement fort d’un public très très large à ce duo familial », affirme Guillaume Charles, le directeur général des programmes de la sixième chaîne. En témoigne les 4.8 millions de personnes qui ont suivi, en avril 2019, la retransmission du spectacle des Bodin’s Grandeur nature en direct de Nantes. M6 avait battu ce soir-là toutes ses concurrentes.
Elle place donc de gros espoirs dans Bienvenue chez les Bodin’s, un nouveau show tourné en décembre au Zénith de Nantes et diffusé ce mercredi dès 21h10. On y verra le truculent duo mère fils organiser, dans son corps de ferme, un événement pour récolter des fonds destinés à la reconstruction de l’église du village. L’édifice a été en partie détruit dans un incendie provoqué par mégarde par (attention spoiler) Christian Bodin. Une brochette d’invités (Jarry, Elodie Poux, Vincent Niclo, Pascal Obispo, Anne Sila, etc.) a été conviée pour les aider.
« On trouve que notre vie est vraiment chouette »
« On continue à s’épater de ce qui nous arrive. Quand, dans notre décor, avec nos personnages, on arrive à s’amuser avec des gens comme ça, on trouve que notre vie est vraiment chouette, confie Vincent Dubois. On aurait vécu tous ces moments-là il y a vingt ans, on en aurait sûrement fait moins bon usage. On aurait peut-être eu l’impression d’être arrivés alors que dans ce métier, par définition, on ne l’est jamais. »
L’humilité est constamment de mise dans les discours des deux humoristes qui d’un mot à l’autre veulent démontrer qu’ils gardent littéralement les pieds sur terre. Les Bodin’s sont made in Indre et Loire, ont construit leur notoriété localement sans avoir eu besoin de la validation parigote, et ils tiennent au bon sens paysan de leurs personnages. « On ne peut pas tout leur faire dire parce que tout d’un coup on peut les trahir. Ils sont des morceaux de nous, mais on est obligés de réfléchir à deux fois en se disant, est-ce que Maria ou Christian dirait ça ? », souligne Vincent Dubois. «Les Bodin’s, ce sont des bons mots, des vérités que se disent les gens du terroir, une simplicité», résumait cet automne, auprès de l’AFP, leur producteur historique, Claude Cyndecki.
« On n’est pas passé des salles de fêtes aux Zénith en trois semaines »
Quand ils relatent leur parcours, les deux artistes aiment à se présenter comme « l’antithèse de la Star Ac’ ». « On a drainé, à force de travail, un public qui a grossi au fur et à mesure. On n’est pas passé des salles des fêtes aux Zénith en trois semaines mais en trente ans », précise l’interprète de Maria.
Le chemin vers la gloire a été long. Les médias parisiens ont pu leur témoigner au mieux de l’indifférence, au pire du mépris. « Ce sont deux artistes qui sont doués et qu’on dédaigne parce qu’ils représentent la province et la ruralité. Mais ça commence à changer. Avec le succès, les bien-pensants ont peur de rater quelque chose », dixit leur producteur.
Les premiers concernés, eux, n’ont pas le cœur à la vengeance. « On n’a jamais été revanchards. On n’a jamais souffert de cet état de fait. Souvent, dans nos métiers, c’est l’ego qui fout la merde, affirme Vincent Dubois. Ce que les journalistes appellent la galère, c’est le temps qu’il nous a fallu pour arriver au succès, mais ce n’est pas ça la vraie galère. Nous, on a toujours gagné notre vie avec notre métier. Il y a toujours eu du monde dans les salles. » Qu’importe que ces salles soient parisiennes, nantaises, tourangelles ou clermontoises, les Bodin’s n’ont pas fini de décentraliser leur humour.
Tous les propos cités dans l’article – à l’exception des verbatims du producteur Claude Cyndecki, extraits d’un dépêche AFP datant de novembre 2021 – ont été recueillis lors d’une conférence de presse virtuelle à laquelle l’auteur de l’article a assisté en janvier 2022.