Après “Les Triplettes de Belleville” et “L’illusionniste”, découvrez le premier long métrage en prises de vues réelles de Sylvain Chomet, “Attila Marcel”. Rencontre avec un metteur en scène passionné.
© Pathé Distribution / Laëtitia Forhan
AlloCiné : Avant d’être un film, Attila Marcel était une chanson que vous aviez écrite pour la Bande-Originale des Triplettes de Belleville. Qu’est-ce qui vous a donné envie de faire un film à partir de cette chanson ?
Sylvain Chomet: C’est même pire que ça, parce que, plus que la chanson, c’est le titre “Attila Marcel” qui m’a marqué et m’a donné envie d’aller plus loin. Je ne me suis pas dit je vais tourner un film et il me faut un titre, comme ça se passe en règle générale. J’ai eu un titre et il fallait que je trouve un film.
Ce qui finalement est plus simple. Parce que quand on a un film et qu’on cherche un titre c’est assez compliqué. C’est un peu comme avec un enfant finalement. On lui donne un nom à la naissance mais on ne le connait pas, on ignore si ça lui ira. Donc moi j’avais le nom et j’ai écrit l’histoire à partir de ça.
A l’origine donc c’était une chanson que j’avais écrit il y a une dizaine d’années, pour la bande-originale des Triplettes de Belleville. Ca parlait d’un gros costaud qui frappait sa femme, mais ce n’était pas du premier degré, c’était une parodie d’une chanson d’Edith Piaf.
Ce qui est drôle c’est qu’après la sortie des Triplettes, les gens se sont appropriés cette chanson. Attila Marcel est devenue très populaire au Québec, elle passe souvent à la radio, et il y a même une chanteuse grecque qui la chante au premier degré. C’est assez triste d’ailleurs.
Quand j’ai eu le projet de faire ce film avec Claudie Ossard (ndlr : la productrice), je suis venu avec cette chanson et 5 autres titres qui ont été utilisés dans le film. J’avais déjà l’histoire : celle d’un jeune homme étouffé par ses tantes. Et il était dès le départ question de musique et d’instruments. La musique tient une place très importante dans le film, elle est décortiquée.
” J’aime travailler par opposition et par contraste ”
Il y a le piano de Paul (Guillaume Gouix) et en opposition, le ukulélé de Madame Proust (Anne Le Ny). Paul est prisonnier du piano tandis que Madame Proust emmène son ukulélé partout,… C’est la liberté contre la prison.
J’aime travailler par opposition et par contraste. Je me rends compte, en regardant mes films, que je travaille beaucoup avec les formes. Dans Les Triplettes, les personnages se répondaient les uns aux autres. On avait les 3 triplettes qui étaient immenses et marchaient très vite avec cette toute petite dame portugaise qui marchait en boitant,…
J’aime travailler avec ça, et dans ce film c’est pareil. Il y a toujours un poison et un antidote pour chaque personnage. Le poison de Paul ce sont ses tantes, l’antidote c’est Madame Proust,…
Guillaume Gouix – © Etienne George
Dans le film, Guillaume Gouix ne dit presque pas un mot, c’est une vraie performance d’acteur. Comment avez-vous travaillé le rôle avec Guillaume ? Sur les regards, la gestuelle,…
Tout s’est fait lors du casting. Quand on a fait les bouts d’essais il y avait trois autres jeunes acteurs. Mais faire passer un casting pour un personnage qui ne parle pas ce n’est pas simple.
J’avais donc écrit un monologue de la voix intérieure de Paul, je leur ai demandé de l’enregistrer et ensuite on les filmait pendant qu’on passait le monologue.
Je leur ai dit “Vous êtes en train de penser ça, qu’est-ce qui se passe dans vos yeux,…”
Les trois autres comédiens – qui sont de très bons acteurs – faisaient beaucoup de théâtre à ce moment-là et ils projetaient beaucoup. Guillaume n’a rien fait… C’est là qu’il a été super gonflé.
C’est un mec qui a du courage. Il n’a vraiment rien fait mais j’étais derrière l’écran et j’ai vu tout ce qui se passait dans ses yeux et là j’ai su que c’était lui !
” Guillaume a toujours l’air étonné, un peu comme s’il était tombé du nid”
J’ai tout de même dû argumenter un peu avec Claudie parce que jusqu’ici Guillaume avait fait des rôles de petits loubards et elle ne le voyait pas forcément dans le rôle d’un petit aristo qui joue du piano.
Mais quand elle a vu son bout d’essai elle n’a plus hésité.
Guillaume a un talent extraordinaire et je suis certain que sa carrière va vraiment exploser. Il a une véritable innocence et a toujours l’air étonné, un peu comme s’il était tombé du nid, et à côté de ça c’est un type très viril. Il est très touchant. J’espère qu’il gardera ça toute sa vie, il me fait penser à un gamin qui est toujours content.
D’ailleurs Bernadette Lafont était comme ça à 74 ans.
Justement Attila Marcel est la dernière apparition au cinéma de Bernadette Laffont, pouvez-vous nous parler un peu de cette immense comédienne ?
Quand Claudie m’a annoncé que Bernadette avait lu le script et qu’elle voulait jouer le rôle d’une des tantes de Paul je n’y ai pas cru au départ.
Lors de notre première rencontre j’étais tellement impressionné que je n’osais pas la regarder. Mais elle m’a mis à l’aise tout de suite.
Hélène Vincent, Guillaume Gouix et Bernadette Lafont – © Etienne George
C’était quelqu’un de vrai. Et tout comme Guillaume, j’avais l’impression qu’elle faisait son premier film alors que c’est moi qui réalisait mon 1er long métrage avec des acteurs. C’était très touchant.
Les gens l’adoraient parce qu’elle était très naturelle et très simple. Elle a apporté tellement au cinéma français ! Elle a d’une certaine façon sauvé la Nouvelle vague. Quand on la voit dans La Maman et la Putain on se dit heureusement qu’elle est là ! Elle est captivante.
Pour elle le cinéma était un vrai métier, c’était sérieux, et hors plateau c’était une belle personne et quelqu’un de vrai.
Quand on voit “La vielle dame et les pigeons”, “Les Triplettes de Belleville” et “L’illusionniste”,… on voit votre signature, on sait que c’est vous qui êtes derrière. Attila est tourné en prises de vues réelles pourtant on reconnait parfaitement votre univers. Un peu comme pour Jean-Pierre Jeunet, dès les 1ères images votre style est reconnaissable… Comment expliquez-vous ceci ?
Ce que vous dites me rassure !
Mais je pense que c’est normal parce que nous venons tous les deux du monde de l’animation, même si j’en ai fait plus que Jean-Pierre Jeunet.
Terry Gilliam, Tim Burton,… tous ces metteurs en scène viennent de l’animation. Et quand vous commencez par l’animation, vous avez un regard différent. On a pris l’habitude de dessiner des choses qui sont intéressantes, on a besoin d’un côté graphique. On est dans un cinéma assez organique.
” Renouer le dialogue avec les dialogues”
Mais je n’ai pas voulu faire Attila Marcel pour montrer que je pouvais faire quelque chose de visuel, ce qui m’intéressait était d’écrire des dialogues et surtout de renouer le dialogue avec les dialogues. Mes autres films étaient muets mais en réalité j’adore écrire des dialogues.
J’en écrivais beaucoup quand je travaillais sur les bandes dessinées en tant que scénariste, et pour moi le film part de là. J’ai commencé à écrire les dialogues et ensuite j’ai mis le visuel et j’ai expliqué les scènes, mais c’est le mot qui a guidé le visuel.
Quelle était votre plus grosse appréhension dans le passage à la prise de vues réelles ? Diriger les acteurs ? Devoir être plus proche du réel ?….
Ma plus grosse appréhension était effectivement de diriger les acteurs. Mais une fois que l’équipe a été réunie je n’ai eu que de bonnes surprises.
Si j’avais réalisé Attila Marcel en animé, le film serait sorti dans 150 ans, et puis la personne qui aurait dû animer le regard de Paul aurait eu du boulot ! C’est ça qui ne passe pas en animation malheureusement.
Anne Le Ny et Guillaume Gouix – © Etienne George
Grâce à ce film j’ai pu rencontrer de merveilleuses personnes, parmi lesquelles Anne Le Ny, qui incarne Madame Proust.
Au départ c’est Yolande Moreau qui devait tenir le rôle. Je l’avais dirigé dans mon segment du film à sketches Paris, je t’aime et j’avais écrit le rôle de Mme Proust pour elle et elle voulait faire partie du projet, c’est d’ailleurs elle qui m’a donné l’idée du potager et le côté un peu lunaire du personnage.
Mais malheureusement le film a mis du temps à se mettre en place et à se monter et au moment où on a pu commencer à tourner Yolande travaillait sur son film (ndlr : Henri) du coup on a dû trouver une autre comédienne. Mais elle m’a inspirée, c’est d’ailleurs pour ça que je la cite en tant que muse à la fin du générique.
Claudie a immédiatement pensé à Anne Le Ny et ça m’a semblé évident. Je lui ai tout de suite avoué que le rôle était pour Yolande au départ et je lui ai dit que désormais c’était le sien, qu’elle en faisait ce qu’elle voulait.
Quand on a démarré le tournage elle s’était vraiment appropriée le personnage, et comme elle est également réalisatrice elle savait exactement où elle allait. Elle a apporté beaucoup.
Quels sont vos futurs projets ?
J’ai deux projets.
Un film d’animation qui reprend les personnages des Triplettes mais qui n’est pas pour autant une suite, c’est une sorte de road-movie. Les Triplettes partent de Belleville et vont rendre visite à leur père qui va avoir 110 ans, qui est une espèce de fou furieux qui vit au fond de la forêt canadienne. C’est une histoire assez déjantée.
© Diaphana Films
Mon second projet est un long métrage en prises de vues réelles, on retrouvera les mêmes comédiens que dans Attila, mais pas dans les mêmes rôles.
Guillaume n’aura pas le rôle principal cette fois-ci ce sera Cyril Couton – qui joue le médecin dans Attila – Jean-Claude Dreyfus aura également un rôle très important et Elsa Davoine qui incarne Bernadette jeune dans le film, sera également présente.
Ce sera un western contemporain où je fais rencontrer des danseurs de country qui s’habillent en cowboys, et des gens qui habitent dans des yourtes en Lozère. Ces deux mondes qui se rencontrent et qui clashent.
J’ai un autre projet mais ce n’est pas du cinéma c’est un spectacle, il s’agit des Triplettes de Belleville sur scène. Ca reprend l’histoire du film, c’est en train de se monter et il y aura des musiques originales, c’est pour toute la famille.
La bande-annonce d’Attila Marcel
Attila Marcel
Propos recueillis par Laëtitia Forhan à Paris le 14 octobre 2013