Le retour du sport amateur en France, c’est aussi la perspective de dédier des week-ends à l’arbitrage de matchs de mini-poussins de votre club départemental, voire de tenir des tables de marque avec un enthousiasme absolu. Rassurez-vous, des dizaines de traileurs de haut niveau vivent cette semaine la même expérience (ou presque) de bénévoles sur l’Ultra-Trail du Mont-Blanc. Non inscrits sur les sept courses ayant lieu jusqu’à dimanche à Chamonix (Haute-Savoie), dont l’UTMB (2.300 participants, 171 km, 10.000 m de dénivelé positif), ils consacrent leur temps aux encouragements et à la prise de chronos pour les membres de leur équipe engagés dans l’épreuve.
« Cette solidarité, c’est notre ADN, lance Jean-Michel Faure-Vincent, manager du Team Salomon. Dans cette grande communauté du trail running, même les pros ne sont pas déconnectés des réalités et ils donnent un coup de main comme n’importe quel bénévole. » Sur l’UTMB (départ vendredi à 18 heures), Salomon France fait appel à une quinzaine de personnes, soit quasiment l’intégralité de ses coureurs élite, pour couvrir pas moins de 35 spots de course ciblés. « Même Thibaut Baronian, qui sera “détruit” après avoir couru la CCC (101 km) vendredi, viendra aider François D’Haene juste après sur l’UTMB », raconte Gédéon Pochat, athlète Salomon de 26 ans.
Le pari gagnant de Salomon à Courmayeur en 2017
Lieu fascinant par excellence dans cette organisation extrêmement rôdée : les espaces de ravitaillement des traileurs, où un seul accompagnant par coureur a le droit d’intervenir, avec un spectacle digne d’un arrêt au stand dans un Grand Prix de Formule 1. Lors de sa dernière victoire en 2017 en à peine plus de 19 heures, François D’Haene s’est accordé… « moins de 10 minutes d’arrêt au total ». Avec un moment clé à négocier à Courmayeur (Italie), après 78 km parcourus, que raconte Jean-Michel Faure-Vincent.
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François D’Haene arrive en troisième position dans ce ravitaillement. On avait initialement prévu une pause normale. Mais comme j’avais été prévenu au téléphone que François était en forme, on a choisi de mettre la pression sur Kilian Jornet et Jim Walmsley en ressortant de là quasi immédiatement, et donc en première place. Le message envoyé était clair : il n’avait pas besoin de se reposer sur la course. »
Un pari gagnant symbolique des multiples détails se tramant en coulisses sur un tel événement de l’extrême. Mais comment les coureurs vivent-ils leur week-end dans l’ombre ? « Quand tu passes ta nuit à accompagner François D’Haene, tu vis toi aussi de sacrées émotions, indique Gédéon Pochat, qui remet ça vendredi et samedi. Comme tu es surexcité, tu fais au maximum une sieste d’1 heure la nuit. C’est un moyen d’entrer de manière plus intime dans la vie des autres coureurs. »
« Il y a beaucoup de mecs qui filent des mauvaises infos »
Et ce d’autant qu’ils se projettent évidemment mieux que quiconque sur ce qui peut passer par la tête des traileurs engagés. « Tu sais ce qui te fait c…. quand tu cours, résume Gédéon Pochat. Si François D’Haene est 10e à 2 heures du premier, je ne vais pas lui donner son chrono. Par contre, je me souviens qu’en 2017, vers la fin de la course, il devenait fou car des spectateurs lui annonçaient que Kilian Jornet lui avait repris 6 minutes sur une seule montée. Il y a beaucoup de mecs qui s’inventent une vie en filant des mauvaises infos. Quand tu es en pleine course, ça te met le doute, et tu es vite irritable avec la fatigue. Tu es donc bien content d’avoir des infos fiables de quelqu’un de ton équipe. »
Le Lyonnais Baptiste Chassagne, qui s’élancera vendredi matin de Courmayeur sur la CCC (101 km), confirme : « Le gros avantage, c’est que la personne face à nous sait lire notre faciès. Nos coéquipiers comprennent la course et ils ne lancent pas les mêmes encouragements classiques comme peut le faire notre famille. Ils sentent dès qu’ils nous voient si on a besoin d’empathie ou de se faire rentrer dedans ».
« Une petite pression de sentir cette force collective derrière soi »
Coureur élite au sein de l’équipe On, et sponsorisé par Garmin, Germain Grangier est habitué à être bien malgré lui informé depuis le bord des sentiers de la course de sa compagne américaine Katie Schide, 6e de l’UTMB 2019 et parmi les favorites ce week-end. « Il y a quand même beaucoup d’animosité sur un tel événement et c’est important de rester dans sa bulle, de ne pas se faire polluer la gestion de sa course », confie-t-il.
Certains préfèrent entrouvrir cette bulle, comme Baptiste Chassagne, soutenu vendredi par neuf athlètes de « la meute » Team Matryx, qu’il a rejoint en janvier 2019. « Ça met une petite pression de sentir cette force collective derrière soi, explique l’intéressé. Dans ces cas-là, j’ai vraiment la sensation qu’on passe d’un sport individuel à un sport collectif. » You’ll never walk alone aurait autant sa place que l’incontournable Conquest of paradise de Vangelis, en bande-son de départ d’UTMB, vendredi dans les rues de Chamonix.